Lettre n° 15- Décembre 2024

«Déracinés», défendre la Liberté, l’Humanité, le Respect et la Vérité

L’Association « Déracinés » à Mâcon intervient auprès de personnes déracinées
de leur territoire et à la recherche d’un nouveau projet de vie : écoute, conseil et soutien administratif des personnes étrangères présentes en France, accompagnement vers l’autonomie, coordination avec les acteurs informels ou associatifs, les travailleurs sociaux et les services publics.

Témoignage, Dossier
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Défendre, c’est protéger en écartant le danger. Parfois c’est aussi interdire, comme dans « Défense de fumer », mais c’est toujours avec l’idée de protection. Alors qu’avons-nous de si précieux à protéger ? Certainement beaucoup de choses. Je ne parlerai ici que de ce qui a conduit à la création de l’association « Déracinés » et qui la fait vivre. Intervenant principalement auprès des personnes étrangères, nous sommes confrontés à plusieurs discours de défenseurs. Les opposants à l’immigration qui parlent de défense des valeurs de la civilisation française. Les théoriciens du réalisme politique qui parlent de défense des équilibres sociaux, économiques et budgétaires. Les militants des droits de l’Homme qui se réfèrent tantôt aux droits applicables dans notre pays et tantôt à ceux que l’on voudrait universels. Alors et nous là-dedans, où nous situons-nous ?

Revenons sur terre. Nous rencontrons des personnes qui vivent des situations difficiles, ces personnes nous demandent de les aider à surmonter ces situations. Pourquoi tentons-nous de répondre à leurs demandes ? Pour être honnêtes, ce qui nous guide, ce ne sont ni les valeurs, ni les équilibres, ni les droits. Nous n’avons pas la prétention de changer le monde. Nous répondons présents, au nom de la liberté de chaque être humain à tracer son propre chemin en tenant compte du contexte plus ou moins contraignant dans lequel il vit. Or, comme l’écrivait Antoine de Saint-Exupéry, « Il n’est de liberté que de quelqu’un qui va quelque part ». « Quelqu’un », c’est la reconnaissance en tant que personne libre. « Quelque part», c’est le projet de cette personne. Ce que nous défendons, c’est la liberté pour tout un chacun de construire son propre avenir, tout en respectant celui des autres et celui plus collectif du monde (paix, solidarité, climat et environnement).

Nous ne prétendons pas pour autant être des combattants pour la liberté absolue. Nous ne sommes pas des « No border » . Nous sommes conscients que ce sont les frontières qui délimitent les territoires où s’appliquent les lois propres à ces territoires. Les frontières ont par conséquent un rôle protecteur lorsque les lois du pays sont elles-mêmes protectrices. La question ne consiste donc pas à supprimer les frontières, mais à veiller à ce que les lois qui s’appliquent aux étrangers, et qui sont par conséquent « discriminatoires » demeurent justes et humaines, ou le deviennent un peu plus, ce qui n’est malheureusement pas la tendance actuelle. Discriminatoire ne signifie pas stigmatisant ou injuste, mais opérant une distinction, comme par exemple les lois propres aux mineurs ou aux élus, qui peuvent être plus protectrices. Ce que nous défendons, c’est une évolution de ces lois vers plus de réalisme et d’humanité, alors que le Législateur subit de plus en plus la pression d’une opinion publique un peu trop nombriliste.

Nous sommes également très attachés au respect. Celui vis-à-vis des personnes que nous accompagnons, bien évidemment, mais aussi le respect des partenaires administratifs dont les missions sont définies par leurs tutelles. Ces personnes ont des contraintes et ne sont donc pas aussi libres que nous, même si elles ont aussi un pouvoir que nous n’avons pas. En effet, l’accusation est devenue un véritable sport national, c’est assez affligeant et totalement contre-productif. Trop souvent, ce sont les autres qui ont tort et qui sont tenus responsables de ce qui ne va pas.

Enfin, l’écoute et l’analyse des situations individuelles nous entraînent quotidiennement à la gymnastique de l’esprit critique, c’est-à-dire à chercher à comprendre, sans a priori, et à vérifier nos informations. Là aussi, la menace est réelle. La parole est trop souvent jugée en fonction du nombre de personnes qui la véhiculent, plus que de sa justesse. Le mensonge s’est banalisé, c’est une catastrophe. Nous défendons la recherche de la vérité. Lorsque nous rédigeons une demande de titre de séjour par exemple, nous ne cherchons pas à enjoliver les choses et nous refusons les combines ou les détournements de procédures. La fin ne justifie pas les moyens, d’autant que ces arrangements avec la vérité finissent souvent par se retourner contre les personnes elles-mêmes. Le maintien de notre crédibilité est essentiel pour réussir à convaincre, lorsqu’il faut défendre des situations atypiques.

Liberté, Humanité, Respect, Vérité, voilà ce que nous souhaitons défendre.

Antoine Boullault, président de l’association « Déracinés »