La communauté de Taizé et les migrants
En janvier 2018, un groupe de jeunes migrants de Taizé a visité le parlement européen. Lors d’une rencontre avec le commissaire européen à la Migration, avec des députés européens de différents partis et de différents pays et avec le directeur général de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), les migrants ont pu parler de leur expérience d’accueil en Europe et de leurs situations respectives : réfugiés statutaires, demandeurs d’asile, migrants « dublinés », mineurs isolés dont la minorité n’a pas été reconnue…
(1) La Règle de Taizé, éd. Les Presses de Taizé
Une tradition, un savoir-faire, une espéance
La Communauté de Taizé reçoit des réfugiés depuis ses débuts. Fondée par Roger Schutz, pasteur suisse, migrant à sa manière, elle fut d’emblée accueillante et diverse, prônant « l’unanimité dans le pluralisme (1) » : œcuménique, elle rassemble une centaine de frères catholiques et protestants et son prieur est anglais de tradition anglicane ; les Frères sont issus d’une trentaine de nations ; aidés par de nombreux bénévoles, ils reçoivent chaque année des milliers de jeunes et de moins jeunes venus de toute l’Europe et d’ailleurs. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, frère Roger avait caché des réfugiés à Taizé. Plus tard, des familles ont été accueillies, notamment du Vietnam, du Laos, de Bosnie ou du Rwanda.
En novembre 2016, la Communauté avec l’aide de l’Association de l’accueil à Taizé regroupant des bénévoles a ouvert un CAOMI (centre d’accueil et d’orientation pour mineurs) afin d’héberger provisoirement dix-huit jeunes déclarés mineurs à Calais, qui voulaient aller en Angleterre. Sept d’entre eux ont décidé de rester à Taizé pour leur procédure de demande d’asile, dans un foyer éducatif proche de Taizé ou dans le village, cherchant comment s’installer dans la région. Ce lieu a pu accueillir treize jeunes hommes âgés de 19 à 40 ans, tous musulmans, originaires du Soudan et d’Afghanistan. Neuf d’entre eux, ont obtenu leur statut de réfugié. Ils ont travaillé ou suivi des formations dans la région.
La Communauté a aussi reçu des familles. Ces dernières années plusieurs familles réfugiées d’Irak, de Syrie, de Palestine, d’Albani, du Kurdistan et d’Ukraine ont été accueillies. Après plusieurs mois à Taizé, qui leur ont permis de retrouver une autonomie et une bonne intégration en France, certaines de ces familles se sont installées ailleurs, gardant avec Taizé une relation étroite.
Accueillir et aider à s’intégrer. Les Frères et l’Association de l’accueil à Taizé aident les migrants à s’intégrer de plusieurs manières, par exemple :
– Avec l’aide de familles de parrainage et un soutien financier.
En 2016, des jeunes demandeurs d’asile du Soudan, du Soudan du sud, d’Erythrée de Syrie et d’Afghanistan ont séjourné à Taizé grâce à l’aide de nombreux bénévoles de la région. Chaque migrant fut accompagné par une famille. Une aide précieuse. L’un d’entre eux disait : «Françoise s’occupe de moi comme une mère de son propre fils ! ». En outre, avec le soutien financier de l’Opération Espérance, la communauté aida ces jeunes à devenir autonomes après avoir obtenu le statut de réfugié.
– Par l’apprentissage du français
Quand la communauté a ouvert ses portes aux jeunes venant de Calais, un élan de générosité de la part des habitants de la région s’est aussitôt manifesté. Des cours de français ont été proposés à la mairie de Taizé avec l’aide d’une dizaine de bénévoles. Christine, professeure de français, écrit : « Mon grand étonnement et mon grand plaisir aussi est de constater la motivation des demandeurs d’asile et leur investissement pour apprendre le français, malgré tous leurs autres soucis ». Aux migrants qui suivent les cours se sont joints une dizaine d’étrangers vivant dans la région !
– Par des échanges avec des jeunes français
Par exemple, les migrants accueillis à Taizé ont été invités à animer une journée de réflexion sur les migrations au lycée Saint-Joseph à Châteaubriant, en Bretagne. En novembre 2017, trois d’entre eux s’y sont rendus et les élèves du Lycée ont été impressionnés par l’histoire de ces jeunes qui ont traversé le Sahara, l’enfer en Libye, la Méditerranée. Les migrants ont aussi été touchés par la qualité de l’écoute et le sérieux des élèves. A Taizé, les migrants participent parfois aux ateliers thématiques proposés aux jeunes pèlerins, pour y raconter leurs parcours et leur vie.
– Par le bénévolat
Les migrants accueillis à Taizé sont invités à donner un coup de main autour d’eux et à se sentir utiles en accomplissant un service pour les autres, aidant à la cuisine, organisant des repas, tenant un stand. « Ils retrouvent une dignité quand ils peuvent donner quelque chose d’eux-mêmes ». Gonçalo, un jeune portugais, écrivait : « Travailler avec trois jeunes migrants fut une expérience unique ; ils se sont bien intégrés dans notre équipe et nous avons partagé ensemble sur certains aspects de notre culture et de la leur. Ils nous ont raconté leur expérience et leur recherche de paix ».
– Par des rencontres avec des élus et des responsables ; au Parlement européen par exemple.
Conclusion
En accueillant depuis 2015 une trentaine de migrants, dans la discrétion, avec efficacité, aidés par l’Association d’accueil, les Frères de Taizé agissent dans la droite ligne de leur Règle de vie : « Sois parmi les Hommes un signe d’amour fraternel et de joie… /… aime les déshérités, tous ceux qui vivant dans l’injustice, ont soif de justice.. ne redoute jamais d’être gêné par eux…/… aime ton prochain quel que soit son horizon religieux ou idéo- logique…(1 )». Pour Frère David un des responsables de l’accueil, « Tous ces gens qui fuient leur pays n’ont souvent pas d’autre choix. Leurs pays sont en guerre ou livrés à une dictature. La pauvreté, la famine… les raisons sont diverses ; il n’y a pas de distinction à faire entre migrants politiques et économiques ». Citons enfin Pascal Brice, ancien directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, en visite à Taizé : « L’accueil des réfugiés est une obligation : accueillir les persécutés, les victimes des guerres. Il faut de la générosité et aussi de l’organisation, de la maîtrise. Nous pouvons le faire collectivement et ce qui se joue ici est tout à fait exemplaire ».
Robert de Backer