Mémoires vives
Bissane Al Charif, née en 1977, est scénographe. Elle vit et travaille en région parisienne. Pour cette installation multimédia, elle a été décorée Chevalier de l’Ordre des Arts et Lettres.
Cette œuvre, intitulée Fragments d’objets, est extraite de l’installation Mémoires de Femmes de Bissane al Charif. Elle présente 32 photos d’objets sortis chacun du sac de 4 femmes. Syriennes ou syro-palestiniennes, celles-ci se sont exilées dans des pays limitrophes ou en Europe depuis le début de la guerre en Syrie. Elles s’appellent Ghada, Rime, Maïssa et Rahab. Cet ensemble raconte l’histoire – toujours vive – de la perte d’un « chez soi » : le moment du départ, la route et le nouveau lieu de vie, le souvenir de tout ce qui a été laissé derrière soi et la construction d’un futur.
Ce panneau s’accompagne d’un enregistrement sur MP3. Ainsi est associé un texte oral à chaque image. En voici un extrait :
« Il y avait des petites choses dans mon sac à main : – La clé de ma maison à Al-Qalamoun. Il y a aussi la clé du tiroir aux secrets dans la maison qui est à Al-Qalamoun. Je les garde car je vais revenir un jour… même en visite. N°5 – 4e rangée. – Ce téléphone est à mon frère ; il est décédé ; on l’a trouvé sur le toit de la maison caché dans un sac en nylon ; quand je l’ai ouvert, j’ai senti l’odeur mon frère. N°3 – 2e rangée.
– C’est une crème je ne la mets pas mais ma mère l’utilise ; je suis partie avec ma mère ; elle est à ma sœur et ma sœur est toujours en Syrie ; j’ai peur que la crème s’épuise. N°4 -1ère rangée.
– Une tasse à café c’était ma part, mon héritage de la maison de mon grand-père à sa mort. N°8 – 4e rangée.
Les 32 objets ont une histoire. Les paroles sont dites en français puis en arabe ; les voix sont différentes, des voix d’hommes et de femmes.
Dans l’enregistrement, on entend en bruit de fond : un train, des voitures, les paroles du pilote dans un avion, des cloches, de la pluie ou un orage, peut-être du vent…
L’artiste, Bissane Al Charif, elle-même exilée, a recueilli ces témoignages qui oscillent entre la douleur de la perte et la quête lucide de nouveaux repères. Ces 4 femmes ont des parcours complémentaires. Leurs âges, leurs milieux sociaux, leurs points de départ et leur destination sont différents. « Travailler sur la mémoire plutôt que sur les évènements, sur le passé et le futur plutôt que sur le présent, a été de ma part un choix artistique dès le début de la révolte en Syrie (2011) », affirme l’artiste.
L’œuvre a été présentée lors de la Quinzaine de la Méditerranée à l’automne 2019 à Cluny, cette manifestation était portée par l’association Cluny Chemins d’Europe. Intitulée Avec Ola, du prénom de l’artiste à l’origine du projet, cette proposition était volontairement pluridisciplinaire.
Elle offrait une première exposition Lignes Essentielles d’Ola Abdallah et une seconde qui témoignait de l’art contemporain en exil avec Fares Cachoux, Bissane Al Charif et Khaled Takreti. Elle se complétait par une balade poétique avec Hala Mohammad et Bruno Doucey associés pour une poésie qui défie la peur, des lectures avec Les passeurs de livres de Daraya de Delphine Minoui, une conférence-échange par Georges Corm historien, économiste et homme politique, spécialiste du Proche-Orient, sans oublier, calligraphie, concert et photographie.
Bissane Al Charif, née en 1977, est scénographe. Elle vit et travaille en région parisienne. Pour cette installation multimédia, elle a été décorée Chevalier de l’Ordre des Arts et Lettres.
www.bissanealcharif.com
Remerciements à Bissane Al Charif, à l’Agence Makisapa-Doc et à Simon Pochet.
Nane Tissot