Qu’avons-nous à défendre si ce n’est la dignité de la personne humaine ?
Peut-être, pour mieux comprendre ce que je vais tenter d’exprimer dans cet article, est-il nécessaire de préciser où je me situe. Depuis de nombreuses années – parfois plus de 40 ans – je suis tout à la fois membre du MAN (Mouvement pour une Al- ternative Non-violente), d’ATD Quart Monde (Agir Tous pour la Dignité) et, comme chrétien, de la CMdF (Communauté Mission de France) et du groupe interreligieux de Mâcon.
Qu’ont à mes yeux ces divers mouvements en termes de défense et de promotion de la paix ? Il me semble que leur unité se fait sur la défense de la dignité de la personne humaine, quelle qu’elle soit.
En ce qui concerne ATD, il s’agit du fondement même du mouvement : militants vivant dans la précarité, volontaires prêts à consacrer tout ou partie de leur vie professionnelle en étant rémunérés au SMIC pour vivre au plus près des personnes en grande précarité, et alliés se réunissant localement avec des militants, tous s’efforcent de faire reculer la misère qui est une atteinte aux droits de la personne humaine en ce qu’elle est une mise en cause de sa dignité. La méthode mise en œuvre par ATD consiste en faire se croiser les savoirs : c’est la raison d’être des Universités populaires qui rassemblent régulièrement sur un thème donné (le travail décent, l’accès à la culture, le regard porté sur la pauvreté, etc.) militants et alliés d’une région donnée. C’est aussi le fil conducteur des recherches nationales ou internationales menées par ATD : confronter les savoirs d’expérience de la vie en grande précarité vécue par les militants, les savoirs professionnels des personnes travaillant dans les diverses institutions ayant à faire avec la précarité, et les savoirs universitaires portés par des chercheurs soucieux de voir la pauvreté reculer conformément à l’objectif de développement durable n° 1 de l’ONU à l’horizon 2030 ! De telles recherches débouchent sur des rapports importants (tel celui sur les dimensions cachées de la pauvreté en 2019 avec l’université d’Oxford ou, plus récemment, sur la maltraitance sociale et institutionnelle) ou des expérimentations en France (le RMI, devenu RSA, la CMU, le droit au logement, ou encore l’expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée dont la communauté de communes du Clunisois serait aujourd’hui un des territoires si l’aval du conseil départemental avait été obtenu).
En ce qui concerne le MAN, une double certitude m’anime : celle que la force de la non-violence peut ouvrir les portes d’un changement de nos modes de vie, personnel et collectif, débouchant sur davantage de justice dans les rapports entre les personnes et les États. Et celle que les moyens d’action non-violents, s’ils n’assurent pas à tous les coups l’obtention du changement espéré, n’enveniment pas l’avenir dans la mesure où le respect intangible de la personne de l’adversaire ne nourrit pas les haines de demain. Mon engagement au MAN se traduit localement, entre autres, par des interventions auprès de jeunes collégiens pour les initier à la maîtrise des conséquences de leurs émotions (peur et colère notamment) et à la régulation positive des conflits, inhérents à la vie, qu’ils connaissent. Car éduquer à la paix et à la non-violence dès l’école contribue à former des citoyens qui, demain, seront plus aptes à s’écouter et dialoguer malgré leurs différends. Et sur le plan national, je suis plus spécialement engagé dans le combat contre les armes nucléaires et la mise en place d’une défense civile non-violente qui pourrait se révéler plus efficaces que le recours systématique aux armes, de plus en plus dangereuses car de plus en plus sophistiquées et de moins en moins contrôlées par l’intelligence humaine. Quant à la CMdF, héritière des prêtres ouvriers autorisés par l’épiscopat en 1941, elle a pour ambition de viser la justesse de l’attitude chrétienne par le service vécu prioritairement auprès des habitants des « périphéries » chers au pape François. Avec Geneviève nous sommes membres de l’équipe « Voix nomades », qui, au travers des engagements et à la mesure des forces de ses neuf membres, répartis sur trois diocèses, réfléchit et œuvre entre autres à l’accueil des étrangers frappant à notre porte, à la vie des habitants quelque peu oubliés de nos villages ou des quartiers de nos villes, aux conséquences du dérèglement climatique sur la nature et les êtres humains, au dialogue de plus en plus nécessaire entre personnes de croyances diverses ou encore à bousculer un peu nos élus et l’Église sur les questions liées à l’armement, particulièrement nucléaire.
Enfin notre engagement dans le groupe interreligieux de Mâcon nous semble d’autant plus nécessaire depuis quelques années, et plus encore depuis un an que le conflit au Proche-Orient dégénère en violences sourdes à la détresse des victimes, quelles que soient leurs croyances, et sources de haines futures. La marche pour la fraternité organisée en mai dernier a rassemblé près de 200 personnes qui ont fait halte dans une mosquée, une église, le temple et la mairie de Mâcon (malheureusement nos frères juifs n’ont pas répondu à notre appel). Et, dans la foulée de cette marche, un repas doit nous réunir le 6 décembre prochain.
À travers ces divers moments qu’il m’est donné de vivre, je m’efforce de participer à la mesure de mes moyens à la construction d’un monde plus juste car la justice est le fondement indispensable pour une vie en paix… y compris avec les personnes qui nous apparaissent être des ennemies. Car, au-delà des actes que ces personnes posent et que nous posons nous-mêmes, il nous faut distinguer et défendre la dignité de chacune.
C’est en quelque sorte un devoir sacré pour, chaque jour, avec humilité et modestie, contribuer à sauver notre humanité !
Patrick Hubert