Lettre n° 15- Décembre 2024

Une Europe forteresse, oui, mais avec des ponts-levis

© Reuters — Laszlo Balogh

Jour après jour nous sommes exposés à des menaces hostiles : trafics mafieux liés à la drogue, criminalité organisée, islam radical, immigration manipulée, guerre hybride menée par le Kremlin contre les Occidentaux – opérations de désinformation au profit des opinions russophiles au sein de l’Europe, cyberattaques, manipulations en tous genres – partis d’extrême-droite reliés à la Russie de Poutine, violences. Les médias relatent ces menaces en augmentation, source d’insécurité, dont nous sommes parfois les témoins directs.
Mais nous sommes peu conscients du branle-bas de combat déclenché il y a peu aux frontières maritimes et terrestres de l’U.E. et de l’OTAN. Cependant, entre 2014 (annexion de la Crimée) et 2022 (guerre d’Ukraine), la longueur des murs et des clôtures érigés aux frontières extérieures de l’U.E. et dans l’espace Schengen pour se protéger des immigrés manipulés par le Kremlin et de possibles intrusions armées, était passée de 315 km à 2 048 km. En 2023, des plans détaillés ont été élaborés pour contrer d’éventuelles attaques russes dans l’Arctique et l’Atlantique Nord, en Europe centrale ou dans la région méditerranéenne. Depuis les débuts de la guerre d’Ukraine, l’U.E. et l’OTAN renforcent vigoureusement leur frontière Est, longue de 2500 km, du Groenland aux rives de la mer noire en Bulgarie. À l’instigation des Pays baltes et de la Pologne, l’OTAN se transforme comme jamais depuis la chute du Mur de Berlin il y a 35 ans, pour contrer la menace tangible venant de Moscou, « revenant aux principes qui ont mené à sa création en 1949 ».

© Reuters — Laszlo Balogh

Mais nous sommes peu conscients du branle-bas de combat déclenché il y a peu aux frontières maritimes et terrestres de l’U.E. et de l’OTAN. Cependant, entre 2014 (annexion de la Crimée) et 2022 (guerre d’Ukraine), la longueur des murs et des clôtures érigés aux frontières extérieures de l’U.E. et dans l’espace Schengen pour se protéger des immigrés manipulés par le Kremlin et de possibles intrusions armées, était passée de 315 km à 2 048 km. En 2023, des plans détaillés ont été élaborés pour contrer d’éventuelles attaques russes dans l’Arctique et l’Atlantique Nord, en Europe centrale ou dans la région méditerranéenne. Depuis les débuts de la guerre d’Ukraine, l’U.E. et l’OTAN renforcent vigoureusement leur frontière Est, longue de 2500 km, du Groenland aux rives de la mer noire en Bulgarie. À l’instigation des Pays baltes et de la Pologne, l’OTAN se transforme comme jamais depuis la chute du Mur de Berlin il y a 35 ans, pour contrer la menace tangible venant de Moscou, « revenant aux principes qui ont mené à sa création en 1949 ».

Quelques faits : sur le front est, le nombre de soldats en état d’alerte est passé de 40000 à plus de 300 000 ; huit groupements tactiques ont renforcé la défense des frontières avec la Russie. Dès2025,une «ligne de défense baltique»–forte de 600 bunkers – sera construite rien qu’en Estonie. En Lettonie, depuis septembre 2023, près d’une vingtaine de sites de stockage de matériel destiné à entraver l’éventuelle avancée de forces russes ont commencé à être installés. Projet qui sera suivi, dans ce pays, par la construction de quelque 3 000 abris antiaériens à partir de 2025. La Pologne, la Roumanie surtout, et la Bulgarie ne sont pas en reste. Le 23 octobre dernier, les ministres de la défense allemand et britannique ont signé un accord pour renforcer leur coopération militaire, premier de ce type entre les deux états, en attendant un accord avec l’U.E. en 2025. Un tel accord couvrirait la défense, le partage de renseignements, l’énergie et l’immigration clandestine. Alors que les deux pays prévoient de stationner en permanence des troupes de l’OTAN en Lituanie et en Estonie, ils ont également convenu de mener des exercices militaires conjoints et d’interconnecter leurs forces dans la région. En cette fin octobre, l’arrivée de milliers de soldats nord-coréens aux frontières de l’Europe est confirmée. Bref, il y a beaucoup de nouveau à l’Est !

La réunion de Washington pour les 75 ans de l’OTAN avait accéléré ce processus dans l’U.E. et en Ukraine. En outre, l’OTAN incrimine la Chine tout autant que la Russie : « Le resserrement du partenariat entre la Russie et la Chine et leurs tentatives pour déstabiliser l’ordre mondial et le remodeler, préoccupe profondément l’OTAN. La Chine joue désormais un rôle déterminant dans la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine ». La veille de l’ouverture de la réunion de l’OTAN du 8 juillet dernier, la Chine et la Biélorussie commençaient des exercices militaires conjoints, à seulement cinq kilomètres de la frontière avec la Pologne, membre de l’OTAN. Le 12 juillet les ministres de la défense russe et américain se sont téléphoné pour prévenir un risque d’escalade, deux jours après l’annonce par Washington du déploiement de missiles de longue portée en Allemagne, dès 2026. Emmanuel Macron déclarait le 13 juillet dans son discours aux Armées : « L’accélération du temps, le rapprochement des menaces imposent de nouveaux réglages. C’est pourquoi je vous demande de continuer à tirer les conséquences de la guerre telle qu’elle sera demain et pas telle que nous l’imaginions hier, et de préparer un ajustement de notre programmation militaire pour 2025 ».

© Europe forteresse, Okea news

Bref, « Une nouvelle ère a commencé : l’ère de l’avant-guerre. Je n’exagère pas », avait confié, en mars 2024, lors d’une interview, le Premier ministre polonais, Donald Tusk. Nous sommes entrés dans une nouvelle guerre froide, c’est-à-dire de tensions entre superpuissances qui évitent l’affrontement direct entre elles, mais optent pour un équilibre de la terreur et utilisent toutes d’autres moyens : course aux armements, espionnage, propagande, menaces, manipulations diverses, cyberattaques, attentats, etc.

L’U.E. se barricade donc. Mais une majorité d’entre nous n’en a pas conscience ou ne s’y intéresse pas. La France est, il est vrai, fort éloignée des limites orientales de l’U.E., ajoutons-y la force de l’habitude. Nombre d’entre nous réagissent comme s’ils vivaient encore dans cette période idyllique de 75 ans, durant laquelle l’U.E. fut un grand marché ouvert à tout vent, lieu de bien-être, de libre circulation, de vie démocratique, de culture, de paix sous le parapluie de l’OTAN. Les Européens vivaient alors dans une sorte d’inconscience imprégnée de naïveté vis-à-vis de leurs concurrents et ennemis potentiels, renforcée par la chute du Mur de Berlin il ya35ansetlalevéedurideaudeferquiont drastiquement réduit les budgets de la défense. Les précautions sécuritaires prises pour les Jeux olympiques – 35 000 policiers et gendarmes, 18 000 militaires mobilisés, sans compter environ 2 500 soldats et policiers venus de 43 pays – n’ont pas alerté outre mesure les Français obnubilés par leurs problèmes de court terme. Tout s’est si bien passé !

Tandis que la France et l’U.E. se défendent et se bunkerisent, gardons ouverts nos ponts-levis ! Le contrôle des frontières ne résout pas tout. Elles ont un effet de barrière et de protection, mais tout autant de voies de passage stimulant échanges et initiatives avec autrui.


(1) Rapport du Sénat sur les ingérences étrangères en France, 07-24, 350 p. ;
(2) U.E. Rapport état de droit 2024, voir recherche web ;
(3) L’Europe de la Défense, ça existe, et ça marche. 23 mai 2024. france.representation.ec.europa.eu
(4) 23 oct. 2023 · La guerre en Ukraine aux portes de l’Europe a renforcé l’attention des pays de l’Est de l’U.E. pour leur sécurité face aux menaces multiples.
(5) À l’Est, quoi de nouveau ? Les enjeux de défense européenne vus :
www.jean-jaures.org
www.lemonde.fr

Robert de Backer – M2E