Souvenons-nous !
J’ai fait paraître ce texte en hommage à Georges Steiner en 2021. Il me semble toujours d’actualité.
Georges Steiner, philosophe du langage, romancier et critique est décédé en 2020. Il a présenté cet essai en conférence à l’Institut Nexus à Tilburg en Hollande. Cette organisation liée à l’Université étudie le patrimoine culturel européen dans sa cohérence artistique, politique et philosophique pour une meilleure compréhension des questions contemporaines.
Même la plus spéculative des idées doit être ancrée dans la réalité, dans la substance des choses. Qu’est-ce, alors, que la « notion d’Europe » écrivait Georges Steiner dans un petit essai dense Une certaine Idée de l’Europe sorti en 2004 chez ACTES SUD.
Son livre est paru traduit de l’anglais dans la collection Un endroit où aller.
Ce terme-clin d’œil est pertinent car le texte de Steiner commence ainsi les cafés caractérisent l’Europe et il nous parle entre autres des cafés de Lisbonne, de Copenhague ou de Palerme mais aussi de Milan, de Venise, de Paris ou de Vienne et il lie à cette promenade le fait que l’Europe peut se traverser en marchant et qu’une relation féconde s’établit entre l’humanité européenne et son paysage.
Piocher dans son livre permet des définitions diverses. Le café peut-être un lieu de rendez-vous, un lieu de débat –souvenons-nous du terme bien choisi de café du commerce ; faire commerce dans le but d’échanger et de confronter idées et opinions- mais aussi un lieu de commérages. Il faut aussi un coin dans ces espaces pour la place du flâneur ou de l’étudiant avec son carnet. Il est ouvert à tous et une tasse de café, un verre de vin, un thé au rhum donnent accès à un local où travailler, rêver, jouer aux cartes, retrouver son âme-sœur ou simplement passer la journée au chaud. C’est un lieu de reconnaissance… et « une poste-restante » pour les sans-abris écrit Steiner.
Lors d’une animation de l’association Cluny Chemins d’Europe, en février 2013, le photographe invité Jean-Pierre Viguié avait proposé une recherche sur les cafés de Cluny.
Voici « La Litanie des Cafés » : à Cluny, depuis la Révolution jusqu’en 1945, c’était souvent dans les cafés que se rencontraient les gens du bourg et que s’échangeaient les nouvelles. C’étaient des lieux importants pour la vie civile.
AinsiLe Soleil Levant, Le Lion d’Or, Le Plat d’Etain, Café du Loup, Chez Maulet, Chez Charcosset, Chez Fernier, Chez Guillet, L’Abbaye, Buvette de l’Eden, Aux deux passages, Café Martel, Chez Moreau, Martin aubergiste, Chez Terrier, Chez Robin, Chez Falquet, La Renaissance, Café de l’Abbatiale, La Grenette, Le Bourgogne, Le Nord, Café du Commerce, La petite auberge, La Line, Hôtel du Commerce, Café de l’abattoir, Café de Paris, Le Comptoir de Bourgogne, Café du Beaujolais, Chez Jules, Café des Sports, Café de la Liberté, Au vin lorrain, Café du bon coin, Café Dumond, Hôtel du Cheval blanc, Les routiers, Chez Bigolet, Café de la P.V., Hôtel de la Gare, Buvette Tieche, Buvette du Père Chagrin, Le Point de Cotte.
Ils avaient tous une atmosphère et un public particulier. Certains existent encore.
Il y a eu des peintres des cafés comme Degas, Van Gogh ou Gauguin et des photographes comme Depardon. C’est le peintre Jacques Truphémus qui illustre ce texte. Né en 1922, -Steiner, c’était en 1929- il est décédé en 2017. Homme fidèle en amitié, habité par des convictions humanistes, creusant son sillon, préférant l’intime au paraître. Ses œuvres explorent tout ce qui touche aux passages -portes, fenêtres- entre les lieux et entre les êtres. La lumière forte, vive, jaune, comme dans ce café de la Place Bellecour à Lyon inonde l’espace et l’ouvre (image 1). A contrario la délicatesse des tons sourds de l’autre toile (image 2) créée la rencontre et l’échange entre la patronne et son client.
Revenons à Cluny et à ces jeunes collégiens, lycéens, étudiants à qui ce lieu vivant qu’est le café permettait et permettra à nouveau de « tchatcher, de rigoler, de boire un coup avec des potes » mais aussi de discuter et de réfléchir ensemble …à leur prochain projet Erasmus !
Nane Tissot